Les communautés nouvelles apportent un dynamisme incontestable dans l’Eglise. Mais l’actualité révèle que certaines, pas toutes, portent en elles de préoccupantes dérives. Loin de toute polémique creuse tentant d’opposer la réalité mystique du don des charismes « rajeunissant » l’Eglise à la nécessaire prévenance de la science de la théologie, le Père Serge Martin AINADOU, prêtre de l’Archidiocèse de Cotonou propose ici une réflexion pour repréciser des balises et en appeler au discernement.
Je ne suis pas baptisé au nom d’un « papa » ou d’une « maman » dans la foi.
Dès lorsque cette réflexion vient d’un clerc, la tentation est forte, pour d’aucuns, de se dresser sur la défensive. Car on soupçonne une certaine velléité de jalousie et de mépris à l’égard de personnes que l’on qualifierait de « charismatiques » sans autre forme de procès. Certains s’imaginent que l’on serait jaloux d’un certain charisme et que des « charismatiques » seraient souvent mal vus voire persécutés.. Par-delà le champ des émotions, des conjectures, des hypothèses sur une possible existence ou non d’un tel sentiment, apparaît néanmoins et avec force une trace d’objectivité qu’il y a nécessité de recadrage afin d’éviter toutes tentatives de dérives sectaires. L’actualité du départ de l’Eglise catholique d’un baptisé influent, leader d’une communauté nouvelle, par exemple, pour créer un Nouveau Mouvement Religieux ( NMR) ou pour aller à une autre religion oblige à taire les émotions et à en appeler au bon sens.
Au cœur de la problématique actuelle du refus de se conformer aux règles de la communauté ecclésiale à laquelle appartiendrait le leader, en tant que sujet de droits et de devoir depuis le baptême, s’établit, en toile de fond, une évidence qu’on ne peut nier : Le culte de personnalité du leader de communauté et le danger d’une dérive sectaire en l’absence d’une référence exclusive à un unique Repère : Dieu.
Tout se passe comme si on est plus attaché à la personne d’un « papa » ou bien à la personne d’une « maman » que l’on est attaché à la Personne de Dieu. On ne professe la foi que par ce « papa » ou bien par « cette maman » et non pas au nom de l’Eglise, « sacrement universel de salut ».
On peut bénir, en effet, son frère ou sa sœur dans la foi de l’unique baptême reçu sans, pour autant, déifier ce dernier ni faire une confusion entre ses soi-disant « révélations » et l’enseignement de l’Eglise. Or, les adeptes, avions-nous déjà relevé dans un article précédent, n’ont pas forcément une notion des limites à ne pas franchir. Finalement, n’est-ce pas le même Dieu qu’on adore, en concluent doctoralement certains, sans faire la part des choses ni percevoir les enjeux d’une confusion biffant différences et identité.
Problème de cohérence identitaire et ontologique
Si le Catéchisme de l’Église catholique définit «l’hérésie, comme, étant, la négation obstinée, après la réception du Baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité», c’est précisément parce que l’erreur connexe à une pseudo révélation d’un gourou entraîne l’hérésie et l’apostasie, en tant que rejet de sa foi.
A cette étape, abandonner sa foi catholique pour un ailleurs hypothétique s’appelle une apostasie. Car ce que l’on confesse ailleurs n’est plus identique à ce à quoi on prétendait croire, aimer, défendre, donner son assentiment, becs et ongles. Que l’on affirme péremptoirement, dans ce contexte, pour justifier son erreur, que Dieu serait partout le même, une telle argutie devenue spécieuse- en soi- n’annule donc pas cette vérité que le rejet total de ma foi reste un constat objectif; et que celui qui apostasie entre dans un état d’incohérence ontologique grave vis-à-vis du sacrement de baptême. Car je suis marqué, à mon baptême, d’un sceau à caractère, qui ne s’efface pas et qui exclut tout mensonge.
Finalement, en qui je crois ? Serait-ce en Dieu ou bien serait-ce en mes intérêts partisans et tendancieux ou bien encore, serait-ce en mes sentiments de colère et de frustrations contre tel frère ou tel autre ? Si c’est en Dieu que je crois, en tant que catholique, serait-ce nécessaire d »abandonner ma foi au profit d’une autre religion ou d’un illuminé ? Dieu serait-il égoïsme ? On n’y songe pas toujours.
Et pourtant, cette religion dont je deviens adepte a son identité propre et ne partage pas, aussi bien du point de vue de l’histoire, des symboles qu’en sa substance, la même foi que moi ? Ne devrait-on pas alors envisager les racines de ce péché d’apostasie, affectant certains baptisés, faibles d’esprit et naïfs, dans des raisons secondaires au motif principal et fallacieux d’une quête de salut ?
D’un pôle, une apostasie peut s’originer dans plusieurs facteurs de vulnérabilité socioculturels, notamment dans la misère mentale couplée d’inculture religieuse, dans cette tentation de superposition syncrétiste entre foi et magie, dans une quête psychologique du sensationnel ou dans un besoin de sécurité narcissique que l »apostat confond, hélas, avec l’assurance de la foi chrétienne. Enfin de compte, l’adepte dans une dépendance psychologique vis-à-vis du gourou ne rencontre plus Dieu, mais se rencontre égoïstement lui-même.
En recherchant, d’un autre pôle, les raisons secondaires de l’apostasie d’un leader de communauté nouvelle, par exemple, ou bien d’un groupe dans l’Eglise, l’histoire révèle qu’il s’agit précisément des questions d’intérêt personnel diamétralement opposées à l’Esprit de l’Evangile du Christ que le leader dit, paradoxalement, annoncer. Ce paradoxe frappe à l’esprit de l’observateur peu dupe. Car, quels que soient les prétextes, un état d’incohérence identitaire manifeste continue de subsister, malgré les élaborations subreptices d’un tissu de colmatage, et s’impose tôt ou tard.
Quelle qualité de témoignage alors lorsque le leader fait, par exemple, la promotion de l’évangile de prospérité à l’encontre de l’esprit de persévérance évangélique, de combat spirituel articulé en termes de patience dans les épreuves, de docilité à l’Esprit, de détachement, d’obéissance , d’humilité… Or, ces vertus restent de précieux critères pour reconnaître un vrai du faux prophète.
Le Pape nous met en garde contre les faux prophètes
Le Pape François recommande dans sa lettre de carême 2018 de ne pas rester « à l’immédiat, à la superficialité ». Or, un apostat ne peut pas entraîner ses « fans » dans une erreur ou une confusion doctrinale, conséquence logique de l’incohérence du leader de la communauté, tant que ces derniers veillent, sur la base d’une formation solide, à éviter de tomber dans le double piège de l’illusion de l’argent et des faux remèdes. Le Pape ajoute, du reste, un dernier facteur du phénomène des faux prophètes : « Des relations jetables ». Le rapport avec la foi et avec l’Eglise peut devenir, à terme, un rapport « use et jette ».
De ce point de vue, l’avidité de l’argent se transforme en règle de discours sur Dieu pendant que, pour justifier la désertion de la foi catholique, l’on fait passer en avant le souci d’annoncer l’Evangile du Christ. Et pourtant, c’est un secret de Polichinelle que l’avidité de l’argent est la source de tous les maux. ( 1 Tim 6, 10).
Dans cette confusion identitaire où le leader peut faire croire malhonnêtement que les symboles de la foi catholique continuent d’être les mêmes ailleurs, et que Dieu serait présent dans l’anarchie et la prétention, même si les dénominations changent objectivement, dans cette confusion, les cœurs troublés pourront-ils continuer de professer la foi de leur baptême ?
Là est le réel problème de désintégration ecclésiale parfois assortie de manipulation pernicieuse pour la foi chrétienne et la société auquel un chrétien peut être livré s’il n’y prend garde.
Que le Seigneur éclaire les intelligences pour discerner et éviter tout piège de séduction ! Et que là où il y a l’erreur, comme le demande saint François d’Assise au Seigneur, que nous y mettions la vérité.
Propos recueillis par Larissa AGBAHOUNGBA