.Faites tout pour éviter que les Noirs ne deviennent riches. Pour ce faire, chantez-leur chaque jour qu’il est
impossible à un homme riche d’entrer dans le Royaume des Cieux… etc. » Ce texte, vous le connaissez sans doute. C’est l’extrait d’une vidéo mettant en scène et en paroles un discours devenu viral sur les réseaux sociaux et attribué tantôt à Léopold II, roi des belges ( 1865-1909), tantôt à Jules Renquin, ministre des Colonies et adressé à des missionnaires catholiques
du Congo-Belge. Maël vient d’écouter un extrait, mais s’interroge sur l’authenticité d’un tel discours. Serait-il alors historique ou faux ?
Problème de sources
Selon un dossier publié par le portail web français Cairn.Info, les premières traces de ce discours remontent aux années 1970.
« Un texte dactylographié anonyme de deux à trois pages circulait au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), tantôt présenté comme un « Discours du Roi Léopold II à l’arrivée des premiers missionnaires au Congo en
1883 », tantôt comme un « Extrait de la causerie du ministre des Colonies, M. Jules Renquin, en 1920 aux premiers missionnaires catholiques du Congo Belge », ou encore comme un « Extrait du message du ministre… » écrit Kalala
Ngalamulume, historien.
Difficile donc d’authentifier que ce discours remonte à Léopold II , attestent certains historiens. Dans le journal jésuite
« Zaïre-Afrique », avril 1984, p. 245-252, le père François Bontinck remarquait quelques erreurs. Comme historien il rappelait que, même la date de 1920 n’était pas exacte, car à cette date, c’est Louis Franck qui était ministre des Colonies et non pas Jules Renkin ( sic) Renquin) comme l’insinuent les rumeurs. Jules Renkin ayant été ministre des Colonies de 1908 à 1918, il est donc impossible qu’il ait prononcé un tel discours, soutiennent les spécialistes.
Contexte d’émergence du discours
Le père François Bontinck fait d’abord un constat: Avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir, est né un conflit ouvert entre le régime de l’ex-président du Congo-Zaïre et l’Eglise catholique avec la nationalisation des écoles confessionnelles et l’abolition de l’instruction religieuse. Les historiens situent la première apparition de ce texte anonyme et son succès dans ce contexte d’hostilité politique contre l’Église catholique. Dans ce même climat, rapporte Cairn.Info, « en 1972, en écho au discours officiel, un certain Verkys Kiamuangana Mateta, chef de l’orchestre Vévé de Kinshasa, composa la chanson intitulée « Na komitunaka » (« Je me pose des questions », en lingala) [3] qui dénonçait ce qu’il appelait religion importée…
Dans le journal jésuite » Zaïre-Afrique « …
Dans le journal jésuite « Zaïre-Afrique », l’une des principales sources scientifiques de recherches sur le sujet, l’auteur de l’article « En marge du centenaire de la Conférence de Berlin… », évoque un second lieu de propagande en faveur du texte. Ainsi « en 1981, l’« extrait de message du Ministre » , fut reproduit par la plus célèbre des Églises indépendantes congolaises, l’Église kimbanguiste, comme un document authentique, à l’occasion de l’inauguration du Temple de Nkamba. » précise Kalala Ngalamulume. spécialiste d’histoire. Le texte a depuis quitté cette région des Grands Lacs.
Intox dans les réseaux aujourd’hui
Dans deux ouvrages d’auteurs camerounais « Et si l’Afrique se réveillait » paru en 2000, et « Le livre sans nom » paru la même année, « la version du texte est identifiée comme un discours de Léopold II à des missionnaires en partance pour l’Afrique, en 1883. Il y est utilisé pour caractériser le projet colonial de ce dernier. « Dans les années qui suivent, le texte circule sur Internet – et ces deux ouvrages sont parfois mentionnés comme source » remarque Kalala Ngalamulume.
Et pourtant, selon les historiens, les premières missions d’Évangélisation du Congo-Belge sur la demande de Léopold II
sont venues bien après l’évènement de la reconnaissance du Congo comme Etat libre à la conférence de Berlin ( 1884-1885). « Ainsi, avant les missions négociées par Léopold II, les pères spiritains français, qui, à partir de Angola où ils étaient présents dès 1866, avait fondé dès 1880 des postes dans le Bas-Congo, envoyèrent dans ces contrées des spiritains belges.
Il en alla de même pour les pères Blancs, missionnaires d’Afrique, fondés par le cardinal Lavigerie, grand pionnier du mouvement antiesclavagiste, qui à l’Est avaient en 1885 des postes dans la région des Grands Lacs… » explique l’historien Roger Herremans dans son ouvrage « L’éducation dans la mission des pères blancs en Afrique centrale 1879- 1914,
objectifs et réalisations » paru à Louvain-la-Neuves-Bruxelles en 1983.
A cette époque, il n’y avait pas donc de missions négociées par Léopold II. Il fallait attendre autour de 1888, révèlent
certaines sources, pour que les missionnaires « négociés » par Léopold II, notamment les Sheutistes soient envoyés sur le territoire de l’Etat indépendant du Congo. « Et ce décalage entre les années révèle une intox,
à propos de ce fameux discours, et ne correspond pas à la vérité des faits » concluent les historiens.
Lionel Azelokonon ( la rédaction)